SpaceOAR et kV-Tracking dans le cadre des radiothérapies de la prostate sur accélérateur linéaire

Severin Blunier

Une évaluation de deux méthodes visant à réduire la dose de rayonnement dans les tissus sains

Le présent article contient un résumé des principaux résultats obtenus dans le cadre du travail de diplôme de l'auteur, consacré à la radiothérapie transcutanée (EBRT) de la prostate sur accélérateur linéaire (Linac) avec utilisation de deux méthodes différentes pour réduire les doses de rayonnement appliquées de manière non intentionnelle dans les tissus sains environnants, notamment dans le rectum: le SpaceOAR et l'irradiation par kV-tracking. Le travail vise à mettre à disposition des technicien-ne-s en radiologie médicale diplômés ES/HES des connaissances approfondies en matière de planification et de mise en œuvre de l'irradiation ainsi que de suivi des patients. Il montre en outre quels schémas de fractionnement sont rendus possibles ou optimisés par chacune des méthodes.

Contexte et défis
Toute radiothérapie de la prostate a pour but d'appliquer de manière ciblée de fortes doses de rayonnement dans le volume cible de planification (PTV), tout en préservant les tissus sains environnants. Dans un schéma d'irradiation conventionnel du cancer de la prostate localisé avec approche thérapeutique curative, la dose individuelle quotidienne par fraction s’élève à 1.8 à 2.0 grays (Gy), pour une dose totale d'environ 78 Gy. Cela donne une durée de traitement pouvant atteindre huit semaines (Papachristofilou, 2021). L'un des défis de l'EBRT de la prostate consiste d'une part, en la proximité immédiate du rectum et ainsi, en l'irradiation non désirée de la dose concernée dans l'organe à risque (OAR) mentionné. D'autre part, la prostate est un organe mobile, qui est susceptible de se déplacer de ±10 mm au cours d’une séance d'irradiation. C'est la raison pour laquelle des marges de sécurité de ± 8-10 mm sont nécessaires en cas d’irradiations sans suivi en temps réel afin de couvrir entièrement le volume cible clinique (CTV) lors des radiothérapies quotidiennes. Selon certaines méta-analyses sur la radiothérapie conventionnelle fractionnée, malgré les progrès technologiques réalisés par les appareils et techniques d’irradiation, comme la radiothérapie conformationnelle à modulation d'intensité (IMRT) dynamique, le contrôle quotidien de la position au moyen de la tomographie par faisceau conique (CBCT) et le matching des traceurs en or implantés, des effets secondaires chroniques de grade 2 et 3 surviennent encore sur le rectum dans 14 à 25 % des cas (Michael Harvey, 2022, p. 280). Les toxicités aiguës et chroniques dépendent du volume irradié et de la dose d'irradiation, les effets secondaires aigus ayant également un lien étroit avec la dose appliquée quotidiennement. Cela signifie que plus le volume de l'OAR qui est irradié est important et plus la dose appliquée est élevée, plus le taux d'effets secondaires est élevé. Par conséquent, il apparaît clairement que la meilleure prophylaxie des effets secondaires indésirables consiste à réduire la dose d’irradiation dans les OAR voisins (Fröhner, 2023, p. 1581).

Réduction du dosage du rayonnement dans le rectum grâce à l’espaceur SpaceOAR
L'une des manières de réduire la toxicité pour le rectum pendant l'EBRT consiste à augmenter la distance entre la prostate et le rectum. Les deux structures sont séparées sur le plan anatomique de 2-3 mm par du tissu conjonctif et de soutien. L'implantation par voie transpérinéale d'un espaceur en hydrogel SpaceOAR dans le tissu adipeux aréolaire lâche situé entre le rectum et la prostate permet d'augmenter cette distance à ± 10 mm, à condition que l'hydrogel soit réparti de manière symétrique. L'espaceur est composé de polyéthylène glycol biodégradable, qui reste stable et inchangé à l'endroit de son implantation pendant trois mois. Après neuf mois, l'hydrogel est absorbé par l'organisme et éliminé par voie rénale. Pour que l'hydrogel soit visible sur l’IRM de planification, une version optimisée appelée SpaceOAR VUE a été lancée en 2020, qui contient désormais un produit de contraste iodé à 1%. Une étude a analysé la distribution symétrique de l'espaceur chez 160 patients et a pu démontrer qu’une distribution symétrique de l'hydrogel a été obtenue chez 117 patients dans les trois niveaux spatiaux, confirmant ainsi la véracité de ce résultat pour la majorité des patients (Andrew H Yates, 2023, p. 1).

Abbildung 1

Illustration 1: Exemple de distribution asymétrique de l’espaceur SpaceOAR VUE
La flèche jaune indique le SpaceOAR VUE; dans la zone de la flèche rouge, il n'y a pas d'hydrogel, de sorte que le rectum est couvert par le volume cible (ligne isodose rouge) (USB, 2023).

Quels résultats peut-on obtenir avec un espaceur SpaceOAR?
Les effets positifs de l'espaceur SpaceOAR sur la toxicité rectale lors de l'EBRT ont été démontrés par plusieurs études. Le pourcentage du volume (V) du rectum recevant une dose de rayons supérieure à x Gy a été examiné en calculant et en comparant les plans d'irradiation avant et après l'implantation d'espaceurs en hydrogel. Dans un volume V70, une réduction de dose de 69 à 78 % a pu être démontrée. Cela s'est traduit par une réduction moyenne de >25 % du volume rectal recevant au moins 70 Gy chez 97 % des patients. Sur le plan des valeurs dosimétriques de la vessie, aucune différence significative n'a été constatée entre les patients avec et sans espaceur. La toxicité du bulbe pénien a connu une réduction de la dose moyenne de 18 Gy dans le groupe SpaceOAR par rapport à 22,8 Gy dans le groupe sans espaceur dans un volume V10-V30. L'influence du SpaceOAR sur le mouvement intra-fractionnel de la prostate a également été étudiée par plusieurs spécialistes qui ont obtenu des résultats différents. La majorité de ces résultats indiquent toutefois que le mouvement de la prostate n'est pas diminué de manière significative par l'utilisation d'un espaceur (Winter, Reddy, & Li, 2023, p. 35-36).

Effets secondaires avec le SpaceOAR
Bien qu'il ait été prouvé qu’il est possible de réduire le volume du rectum irradié involontairement, des études faisant état d’une différence non significative des effets indésirables aigus entre les patients avec et sans SpaceOAR ont été publiées. S’agissant des effets secondaires chroniques sur le rectum trois ans après l'EBRT, une réduction des toxicités de grade 1 et de grade > 2 a été observée chez les patients irradiés avec un SpaceOAR. En ce qui concerne les toxicités chroniques des voies urinaires de degré > 2, aucune différence notable n’a été constatée entre les groupes de comparaison. Quant à la fonction érectile, les patients du groupe SpaceOAR ont fait état de résultats nettement meilleurs après trois ans, ce qui pourrait être lié à l'application d'une dose plus faible dans le bulbe du pénis ou les paquets vasculo-nerveux (Michael Harvey, 2022, p. 284).

Réduction de la dose de rayonnement dans l'OAR grâce au kV-tracking
Le kV-tracking permet de suivre en temps réel le mouvement de la prostate à l'aide de marqueurs en or implantés dans la prostate. Si les marqueurs en or se situent en dehors d'une zone de tolérance prédéfinie, l'irradiation est interrompue et une correction de positionnement de la table de traitement est réalisée. Les accélérateurs linéaires (Linacs) modernes peuvent être équipés d'une technologie intégrée d'imagerie et de gestion des mouvements qui permet de surveiller et de contrôler visuellement les mouvements des marqueurs. Pour ce faire, l'appareil réalise des images planaires kV de la région cible à des intervalles déterminés pendant la rotation du portique. Les marqueurs sont segmentés dans les images kV capturées, puis comparés et conciliés avec les images radiographiques reconstruites numériquement (DRR) calculées à partir des données du scanner de planification. Si un marqueur d'or se trouve en dehors d'un contour de tolérance, l'irradiation peut être interrompue soit automatiquement, soit manuellement (Guneet Kaur e. A., 2019, p. 585-586). L'utilisation d'un tracking 2D-kV permet de réduire les marges de sécurité du volume cible de planification (PTV) à ± 3-5 mm. Ainsi, la dose de rayonnement appliquée involontairement dans les OAR environnants est réduite.

Abbildung 2

Fig. 2: Exemple d'images kV acquises pendant l'irradiation
Les cercles vert, rouge et orange représentent les régions de tolérance autour des marqueurs en or. Dans l'image du milieu, la tolérance a été dépassée, dans l'image de droite, un marqueur n'est pas reconnu par le logiciel (orange) (Guneet Kaur J. L., 2022).

Autres possibilités des deux méthodes
Une irradiation avec SpaceOAR ou kV-Tracking permet d'utiliser ou d'optimiser la tolérance de la radiothérapie dans des schémas de fractionnement avec doses uniques plus élevées. Ainsi, leur utilisation convient aussi bien à la radiothérapie hypo-fractionnée modérée de 20 x 3 Gy qu'à la radiothérapie stéréotaxique SBRT de 5 x 7,25 Gy. S'agissant des effets secondaires des schémas de fractionnement mentionnés, d'autres études devront être menées à l'avenir pour pouvoir publier des résultats pertinents. Toutefois, on estime généralement que la stratégie de prévention des effets secondaires indésirables rendue possible par SpaceOAR et le kV tracking est prometteuse (Michael Harvey, 2022, p. 283-284).

Pourquoi les doses uniques élevées sont-elles utiles dans le cadre de l'irradiation de la prostate?
Le rapport α/β fournit des informations sur la sensibilité aux radiations ou la capacité de réparation de certaines cellules après un dommage sublétal dû aux radiations. Les cellules présentant un faible rapport α/β sont plus sensibles aux radiations appliquées en doses uniques élevées. Les valeurs α/β peuvent être calculées à partir des données cliniques, ce qui permet de comparer l'efficacité biologique de différents schémas d'irradiation. Des études cliniques ont démontré des valeurs α/β exceptionnellement basses d'environ 1.5 Gy pour le cancer de la prostate, qui s'est même avérée une valeur inférieure à celle de la plupart des tissus de la région pelvienne (Fischer-Valuck, 2018).

L'application d'une dose unique plus élevée permet de réduire la durée totale du traitement et de réaliser des économies. La non-infériorité d'un hypo-fractionnement modéré par rapport au fractionnement conventionnel a pu être démontrée dans différentes études qui ont examiné le contrôle de la tumeur et la toxicité tardive après cinq ans (David I. Pryor, 2017, p. 232-233).

Discussion
Les différences sur le plan des effets secondaires aigus entre les groupes avec et sans espaceur étaient étonnamment faibles si l'on prend en considération les résultats positifs de l'espaceur sur la distribution de la dose dans le rectum. Dans la littérature consultée, aucune justification ni hypothèse n'a été formulée sur ce point. Il est possible que, malgré l'utilisation de l'espaceur, la dose seuil pour les dommages déterministes dus aux rayonnements pour les organes environnants soit dépassée, entraînant ainsi des effets secondaires aigus. D'autre part, il y a également lieu de mentionner que l'IMRT dynamique combinée à une IGRT sans espaceur enregistre déjà de très bons résultats.

Il a certes été démontré dans le travail que le kV-tracking s'accompagne de manière fiable de marges CTV-PTV plus faibles et d'une distribution optimisée de la dose dans les tissus, mais même après un travail de recherche exhaustif dans la littérature, aucun ou très peu de résultats n’ont pu être trouvés sur le thème des effets secondaires. D'une part, l’on attend encore des résultats d'études à long terme à ce sujet. D'autre part, la réduction des marges permet d'utiliser d'autres nouveaux schémas de fractionnement avec des doses individuelles plus élevées, qui nécessitent également un examen dans le cadre d’études à long terme.

Conclusion et perspectives
Les nouveaux produits et méthodes d'irradiation nécessitent un examen et une évaluation approfondis dans le cadre d'études à long terme afin de démontrer leur utilité clinique. Il convient d’attendre les études à long terme sur le SpaceOAR et le kV-tracking pour pouvoir tirer des conclusions plus précises sur les effets secondaires et les bénéfices. Cependant, de premiers résultats font état d’une plus-value des deux méthodes dans l'EBRT de la prostate.

L'avenir de la radiothérapie du cancer de la prostate réside dans la mise en œuvre de schémas de traitement hypo-fractionnés, qui permettent de réduire la durée totale du traitement pour les patients. Parallèlement, ils permettent de diminuer les coûts et de traiter davantage de patients sur une période donnée. Le présent travail explique pourquoi, d'un point de vue radiobiologique, ces schémas ont un sens et constitue donc la base de cette compréhension, qui peut également être appliquée à l'irradiation du cancer du sein avec des valeurs α/β également faibles.

Bibliographie

  • Papachristofilou, A. Z. (29 novembre 2021). Radiotherapie beim Prostatakarzinom-kurativ und palliativ. Urologie in der Praxis, p. 51-57.
  • Fröhner, M. W. (1er janvier 2023). Prostatakarzinom: kurative Therapie. Die Urologie, p. 1-22. doi:https://doi.org/10.1007/978-3-662-63400-4_143
  • Michael Harvey, W. L. (10 juin 2022). Comprehensive review of the use of hydrogel spacers prior to radiation therapy for prostate cancer. BJU International, p. 280-287. doi:https://10.1111/bju.15821
  • Andrew H Yates, J. W. (19 octobre 2023). SpaceOAR hydrogel distribution and early complications in patients undergoing radiation therapy for prostate cancer. British Journal of Radiology, p. 1-7.
  • Winter, J., Reddy, V., & Li, W. (13 décembre 2023). Impact of technological advances in treatment planning, image guidance, and treatment delivery on target margin design for prostate cancer radiotherapy: an updated review. The British Institute of Radiology, p. 31-40. doi:https://doi.org/10.1093/bjr/tqad041
  • Guneet Kaur, e. A. (13 mai 2019). Assessment of the accuracy of truebeam intrafraction motion review (IMR) system for prostate treatment guidance. Australasian Physical & Engineering Sciences in Medicine, p. 585–598. doi:https://10.1007/s13246-019-00760-7.
  • Guneet Kaur, J. L. (6 décembre 2022). Clinical validation of the Varian Truebeam intra-fraction motion review (IMR) system for prostate treatment guidance. Physical and Engineering Sciences in Medicine, p. 131–140. doi:https://10.1007/s13246-022-01204-5.
  • Fischer-Valuck BW, R. Y. (7 juin 2018). Intensity-modulated radiotherapy for prostate cancer. Translational Andrology and Urology, p. 297-307. doi:https://10.21037/tau.2017.12.16
  • David I. Pryor, S. L. (12 décembre 2017). Moderate hypofractionation for prostate cancer: A user’s guide. Journal of Medical Imaging and Radiation Oncology, p. 232-239. doi:https://10.1111/1754-9485.12703

Contact

Severin Blunier
technicien en radiologie médicale diplômé ES
Hôpital Universitaire de Bâle / Hôpital Dornach
severin.blunier@outlook.com

Weitere Fachartikel

04.10.2024

Congrès SASRO 2024: réseautage et nouvelles perspectives en radio-oncologie

Du 19 au 21 septembre 2024 a eu lieu la réunion annuelle de SASRO. Près de 500 participant-e-s se sont retrouvés pour le 28e congrès SASRO sur le site du CAMPUS de Sursee. Cette année, le congrès était consacré au theme «Learning Health Systems: collection of evaluable data, data transformation into knowledge, feedback to patient value». De nombreuses présentations passionnantes ont été réalisées autour de ce thème ainsi que sur d'autres aspects.

10.09.2024

Livre blanc: le Remote Scanning à l'IRM pour garantir des soins de santé de haute qualité en Suisse

Les associations professionnelles d'Allemagne (DVTA), d'Autriche (rtaustria) et de Suisse (SVMTR/ASTRM) ont rédigé un document d'avant-garde sur le thème «Remote Scanning à l’IRM pour garantir des soins de santé de haute qualité». Ce livre blanc fournit des recommandations complètes pour garantir une mise en œuvre efficace et sûre de l’acquisition à distance dans les établissements de santé. Ce document a servi de base à ce livre blanc et a été complété par les aspects juridiques pour la Suisse.

26.08.2024

L'hôpital cantonal de Baden examine une défense d'éléphant du zoo de Zurich

L'hôpital cantonal de Baden (KSB) a radiographié la défense de Maxi, l'éléphant mâle décédé. Maxi, né en Thaïlande et ayant ensuite voyagé avec un cirque en Angleterre, a vécu au zoo de Zurich à partir de 1981 et a laissé une trace génétique importante dans la population d'éléphants européens.

20.08.2024

Les technicien-ne-s en radiologie médical peuvent-ils poser des cathéters PICC Line de manière autonome?

Un traitement médicamenteux de longue durée nécessite un accès veineux permanent. Outre le cathéter veineux central (CVC) et le port, le «cathéter PICC Line» constitue une nouvelle variante d'accès veineux central présentant divers avantages pour les patient-e-s, notamment un confort accru et une probabilité de complications réduite. Dans certaines cliniques suisses, le cathéter PICC-Line est déjà mis en place de manière autonome par des technicien-ne-s en radiologie médical ES/HES. Dans quelles conditions une extension du futur spectre clinique pour les technicien-ne-s en radiologie médicale dipl. ES/HES est-elle envisageable et juridiquement admissible?

En devenant membre, vous apportez votre soutien à notre travail. Devenez membre – vos collègues seront reconnaissants pour votre intérêt, votre engagement et votre solidarité.
Formulaire d'adhésion
© 2023 SVMTR. Tous droits réservés.